Gérer le coût élevé d’une absence pour cause d’invalidité est encore plus compliqué lorsque l’assureur ou le fournisseur externe refuse une demande de prestations d’invalidité. En pareil cas, les employeurs et leurs employés doivent accepter que la définition de l’invalidité utilisée pour déterminer l’admissibilité aux prestations est parfois très différente de leur propre interprétation, ce qui vient complexifier la situation pour les employeurs.
Essentiellement, les prestations d’invalidité sont conçues pour protéger les employés qui souffrent d’une maladie ou d’une blessure suffisamment grave pour les empêcher d’accomplir les tâches essentielles de leur emploi. Les prestations versées correspondent à un pourcentage du salaire de l’employé avant l’invalidité.
Étant donné que l’absence d’un employé fait suite à une maladie ou une blessure, physique ou psychologique, on s’attend souvent à ce que l’invalidité soit liée à un facteur d’ordre biologique[2] et que les prestations d’invalidité soient payables uniquement en présence d’un problème de santé. Or, même si un problème de santé est à l’origine de l’invalidité et que les examens cliniques confirment les conclusions des prestataires de soins de santé, ce n’est pas sur cet élément que l’on se base pour déterminer s’il y a invalidité dans le cadre de la plupart des régimes d’assurance invalidité. En effet, l’étude du dossier porte plutôt sur les tâches essentielles de l’emploi et l’incapacité fonctionnelle confirmée par les examens cliniques.
À la lumière de ce qui précède, de quelle façon un employeur peut-il déterminer parmi les différentes tâches accomplies dans le cadre d’un emploi celles qui sont essentielles et celles qui ne le sont pas? La Commission ontarienne des droits de la personne souligne que pour déterminer si une tâche est essentielle, il faut tenir compte de la fréquence à laquelle elle est accomplie, du temps qui y est consacré, de l’incidence sur le poste si elle était retirée et de son lien avec les autres tâches du poste.[3]
L’étude d’un dossier d’invalidité tient compte de différents éléments provenant de différentes sources. En général, les assureurs et les fournisseurs externes consultent des bases de données indépendantes pour connaître les paramètres qualitatifs et quantitatifs appliqués aux facteurs associés à l’invalidité. Par exemple, en ce qui concerne les exigences professionnelles et les tâches considérées comme essentielles ou non essentielles, de nombreux assureurs canadiens s’en remettent à des bases de données comme le système de classification nationale des professions (CNP) pour déterminer quelles sont les tâches essentielles d’une catégorie d’emploi donnée. Selon cette base de données, les tâches essentielles d’un caissier de banque, par exemple, sont les mêmes peu importe la banque où il travaille. Les tâches qui sont propres à un employeur en particulier ne sont pas considérées comme des tâches essentielles de cet emploi.
Lorsqu’une activité professionnelle est accomplie pour un employeur en particulier et ne figure pas dans les tâches du même emploi chez la plupart des autres employeurs, il peut être plus difficile de déterminer les exigences du poste. Une personne peut donc être incapable d’accomplir certaines tâches qui figurent dans la description de son emploi, sans que celles-ci soient considérées comme des tâches essentielles. Dans un tel cas, la demande de prestations d’invalidité est souvent refusée parce que l’employé est toujours en mesure d’effectuer les tâches essentielles de son emploi.
Par conséquent, lorsque les employeurs rédigent les descriptions d’emploi, il est essentiel de déterminer clairement ce qui est exigé des employés et de comprendre en quoi ces exigences diffèrent de celles des autres employeurs à l’égard de postes similaires. Ainsi, les organisations sont mieux placées pour évaluer et accommoder tous les types d’absences, attribuables à des causes médicales ou autres, au lieu de s’appuyer uniquement sur la description modèle du système CNP.
Les employeurs sont tenus d’accommoder les employés souffrant d’un handicap, à la condition que l’accommodement ne donne pas lieu à des contraintes excessives pour l’employeur. Il est important pour les employeurs d’offrir un milieu de travail évolutif et d’adopter des mesures d’accessibilité pour répondre aux besoins de leurs employés.
La Commission canadienne des droits de la personne a préparé un guide à l’intention des employeurs qui doivent gérer le retour au travail d’un employé après une absence prolongée. Ce guide fournit un cadre pour faciliter le retour au travail des employés qui peuvent avoir besoin d’accommodements et propose la marche à suivre pour gérer les demandes d’accommodement. Il faut notamment définir les capacités fonctionnelles, créer un dossier, rester en contact avec l’employé, déterminer les possibilités d’accommodement, mettre en œuvre les accommodements et en faire le suivi, et faire appel aux intervenants appropriés.[4]
Bien que la plupart des employeurs comprennent et reconnaissent l’obligation de faire des accommodements, le défi réside dans la façon de les faire si la demande de prestations d’invalidité d’un employé est refusée par l’assureur ou le fournisseur externe. Les employeurs doivent-ils présumer que l’employé n’est plus invalide? Il est important que les employeurs comprennent le motif de la décision, afin de trouver la meilleure façon de soutenir l’employé. La demande de prestations a-t-elle été refusée en raison de renseignements médicaux insuffisants ou des dispositions contractuelles? Certaines dispositions restreignent peut-être l’admissibilité aux prestations d’invalidité, ou les renseignements présentés ne permettent peut-être pas d’établir que le problème de santé empêche l’employé d’accomplir les tâches essentielles de son poste. Une ou plusieurs de ces raisons peuvent s’appliquer sans pour autant qu’on puisse mettre en doute l’invalidité ou l’incapacité fonctionnelle de l’employé. Il est nécessaire d’obtenir des renseignements supplémentaires. À la base, l’objectif ultime de l’employeur devrait être d’envisager et de mettre en place immédiatement des solutions d’accommodement dès le début de l’absence.
Les organisations capables d’évaluer rapidement leur capital humain pour créer des possibilités de retour au travail tendent à être plus résilientes en situation de congé d’invalidité. Lorsqu’une organisation peut tirer parti de solutions existantes pour maximiser dès le début le potentiel de retour au travail d’un employé absent pour cause d’invalidité, elle sensibilise ses employés aux options offertes avant et après l’invalidité et favorise ainsi la durabilité de la main-d’œuvre. En utilisant cette approche, les employeurs peuvent prendre en main la main-d’œuvre, la production et les frais au début du congé d’invalidité, au lieu de s’en remettre à la décision de l’assureur ou du fournisseur externe. En contrepartie, les employés reconnaîtront et apprécieront que ces politiques contribuent à ce que la mise en place de mesures d’accommodement continuent de progresser sans leur imposer un fardeau disproportionné.
Les stratégies et pratiques décrites dans cet article ne sont aucunement perturbatrices et n’entraînent pas de changements importants dans la façon dont les employeurs gèrent les prestations d’invalidité. Toutefois, elles sont souvent méconnues. Les employeurs ont la possibilité de planifier et de mettre en place dès aujourd’hui des stratégies qui auront une incidence favorable sur leurs résultats financiers futurs.
Rédigé par Jessica Gobran, directrice principale, Invalidité à La Corporation People.
Adapté de l’article paru dans le numéro du quatrième trimestre de 2020 du bulletin BENEFITS QUARTERLY, publié par l’International Society of Certified Employee Benefit Specialists.